Bernard Malgrange, mathématicien, professeur à l’Université de Grenoble de 1969 à 1973, Directeur de Recherches au CNRS depuis 1973 et membre de l’Académie des Sciences nous a quittés le 5 janvier 2024.
Très actif dans la recherche mathématique, il a été un des leaders de l’Institut Fourier en ayant une contribution essentielle à son développement et à son rayonnement au niveau international à travers un parcours scientifique exceptionnel. Il a eu un rôle majeur dans le pilotage des Annales de l’Institut Fourier, qui a acquis sa renommée d’aujourd’hui lors de son mandat comme rédacteur en chef.
Ses contributions mathématiques les plus importantes concernent l'analyse et la géométrie. Une longue période de ses travaux est consacrée à l'étude des équations aux dérivées partielles. Dans sa thèse dirigée par Laurent Schwartz, il montre que toute équation aux dérivées partielles à coefficients constants admet une solution élémentaire, résultat connu aujourd’hui sous le nom de théorème de Malgrange-Ehrenpreis. Les solutions élémentaires ont été depuis longtemps l'objet de nombreuses études. L'ancêtre de toutes les découvertes ultérieures sur les équations aux dérivées partielles fut la généralisation démontrée par Malgrange de l'inégalité de Poincaré L² du gradient pour tout opérateur différentiel à coefficients constants. Il a ensuite étendu bon nombre de ses résultats aux opérateurs hypoelliptiques sur les variétés. Une autre série de travaux, différente des précédents quoique inspirée en partie par eux, concerne les idéaux de fonctions différentiables et l’étude des singularités. Dans son livre bien connu de 1966 il montre que l'idéal engendré par un nombre fini de fonctions analytiques est fermé, donc il est entièrement défini par ses idéaux ponctuels de séries formelles de Taylor. Il a montré aussi que toute relation à coefficients lisses entre un nombre fini de germes de fonctions analytiques en un point est engendrée, au sens lisse, par les relations à coefficients analytiques. Il a aussi démontré le théorème de préparation différentiable portant aujourd’hui son nom, qui résout une conjecture de René Thom et représente le point de départ pour les travaux ultérieurs de John Mather sur la stabilité des fonctions lisses et leur singularités. Parmi ses résultats marquants, il y a en particulier une série de travaux magnifiques où il met en évidence la relation entre les exposants de la phase stationnaire et la monodromie de la connexion de Gauss-Manin, il détermine le polynôme de Bernstein-Sato d’une singularité isolée et le relie au complexe de cycles évanescents de Deligne. Un autre volet de ses recherches est consacré à la théorie algébrique des équations différentielles et l’étude des D-modules. Bernard Malgrange démontre entre autres un théorème de Riemannn-Roch pour les D-modules et commence la classification des connexions irrégulières, qui sera complétée ultérieurement dans les travaux de Pierre Deligne. Il a aussi une série de travaux sur la sommation des séries divergentes, complétés ensuite par Jean-Pierre Ramis. La longévité mathématique de Bernard Malgrange a été exceptionnelle, plus de 70 ans séparent son premier article de sa dernière publication. Son activité scientifique est en effet demeurée importante bien au-delà de son départ à retraite, avec des contributions majeures, dont la théorie de Galois différentielle pour les équations non linéaires, notamment la définition et l’étude du groupoïde qui porte désormais son nom. Bernard utilisait sa profonde connaissance de l’histoire des théories qui l’intéressaient dans sa propre recherche: par exemple, sa théorie de Galois différentielle non linéaire était nourrie de la lecture de Drach, Vessiot etc.
Par l'ensemble de ses travaux, Bernard Malgrange nous laisse une œuvre considérable par le nombre de sujets qu'il a traités et la profondeur des idées qu'il y a apportées, en laissant une marque indélébile sur les mathématiques à venir. Il a eu une grande influence dans plusieurs domaines des mathématiques et une autorité universellement reconnue dans le monde mathématique tout entier. Un colloque international en son honneur, rendant hommage à son parcours et à ses travaux, a eu lieu en juin 1993 à Grenoble, un autre, en occasion de son 80-ème anniversaire, au CIRM en 2008 et les actes ont été publiés dans les Annales de l’Institut Fourier.
Sa personnalité et sa passion pour les mathématiques ont marqué des générations d’étudiants et suscité de nombreuses vocations au service de la science. Bernard Malgrange n'a peut-être pas dirigé directement, au sens administratif, un très grand nombre de thèses mais il a toujours eu un contact profond et fécond avec les mathématiciens plus jeunes. Ils sont nombreux à avoir appris profondément les mathématiques à son contact, comme Salah Baouendi, Daniel Barlet, Guy Brousseau, John Mather, Louis Boutet de Monvel, Jean-Pierre Ramis, Raoul Robert, Laurent Stolovitch et bien d'autres.
Nos pensées vont à sa famille dans cette épreuve.
Carrière universitaire
Ancien élève de l' École normale supérieure (promotion 1947 Sciences), agrégé de mathématiques (1950) et docteur ès sciences, il est successivement attaché de recherche au CNRS, maître de conférences puis professeur à l'université de Strasbourg et professeur à la faculté des sciences d'Orsay avant de rejoindre l' université de Grenoble en 1969, d'abord en tant que professeur et ensuite comme directeur de recherches au CNRS, et finalement en tant que professeur émérite de l'Université Joseph Fourier à Grenoble.
Élu membre correspondant de l’Académie des Sciences en 1977 et membre en 1988, ancien directeur de l’Institut Fourier, Bernard Malgrange a reçu nombre de distinctions et de prix au cours d’une carrière internationale particulièrement brillante : les prix Carrière 1961, Cours Peccot 1962, André Vera 1962, Servant 1970, Cognacq-Jay 1972, le prix du Rayonnement Français 1987.
Il a été directeur de l’Institut Fourier et rédacteur des Annales de l’Institut Fourier de 1972 à mai 1992, dont rédacteur en chef à partir de 1981.
Témoignages
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Bernard Malgrange était un grand mathématicien merveilleusement humain. C'était un plaisir de le croiser dans les couloirs ou au restaurant à côté de l'arrêt du tramway de l'Institut jusqu'en novembre dernier.
Je l'ai toujours vu de bonne humeur. Tout en lui respirait la bienveillance. Sa présence chaleureuse va me manquer.
Christine Lescop
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Je me souviens de Bernard Malgrange, quand jeune maître de conférences, je participais puis organisais le séminaire d'Analyse et Géométrie Complexe. Cet immense mathématicien a toujours fait preuve d'une discrète mais réelle bienveillance envers moi-même et les jeunes participants de ce séminaire.
Toutes mes condoléances à ses proches.
Laurent Bonavero
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Mes liens d'amitié avec Malgrange datent de très longtemps : de son entrée à l'ENS, deux ans après moi, en 1947. Parmi ses camarades de promotion il y avait J-L. Lions, Cerf et Blanchard. Une belle liste ! J'aimais beaucoup discuter avec eux, et, au bout d'un ou deux ans, nous avions créé le "séminaire de la thurne 100" (pourquoi 100 ? je crois qu'ils occupaient les thurnes 49 et 51), qui avait lieu chaque semaine, et où nous faisions des exposés. Notre groupe s'était augmenté de Berger et plus tard de Bruhat. Nous donnions à chacun un sujet assez large. Par exemple : Berger, tu nous expliqueras les espaces de Riemann (pas facile, surtout à partir du livre d'Elie Cartan). Pour Cerf : tu expliques la théorie de Morse. Je crois que Malgrange et Lions se sont chargés des distributions de Schwartz, et que j'ai parlé des algèbres normées à la Gelfand. Comme j'étais le seul à avoir une machine à écrire (mécanique), je tapais un résumé de chaque exposé en une page sans interlignes, et en 6 ou 7 exemplaires, sur papier pelure avec des carbones. Ce qui est étonnant, c'est que chacun des participants a continué dans la même direction que celle de ses exposés.
Quoi d'autre ? Bien sûr, j'ai souvent discuté avec Malgrange par la suite. Il était - chose rare - un analyste qui aimait l'algèbre. Il a raconté dans une interview comment il avait publié son théorème sur le théorème de préparation différentiable : c'était une question de Thom, il l'avait résolue, mais il se demandait s'il fallait publier sa démonstration. Il m'en a parlé et je lui ai dit : si c'est Thom qui te l'a demandé, il faut le publier. Ce qu'il a fait. Il a aussi démontré un théorème sur les distributions qui l'a exprimé sous la forme "tel module est plat" (dans son exposé Bourbaki sur le sujet, je crois qu'il a dit "pour faire plaisir à Serre").
Beaucoup plus tard : nous étions à l'Académie, et cela nous donnait le plaisir de nous rencontrer. Le covid a arrêté ça. L'an dernier, je lui avais écrit pour avoir de ses nouvelles, mais il n'a sans doute pas reçu ma lettre, car il n'a pas répondu.
JP Serre
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Bonjour à toutes et tous, famille, amis, collègues,
Merci de me donner l'occasion de dire quelques mots. Je suis Yves Colin de Verdière, collègue et ami de Bernard. Ce n'est sans doute pas le lieu de rappeler les contributions mathématiques exceptionnelles de Bernard. Je vais plutôt faire un témoignage personnel.
Bernard, j'ai d'abord un sentiment de gratitude vis à vis de toi : par 2 fois, ton intervention a joué un grand rôle dans mon parcours.
Tu étais un des examinateurs à l'oral du concours de l'Ecole Normale Supérieure en juillet 1964 et, malgré ma prestation que j'avais trouvée mauvaise, j'ai été reçu. Je pensais tellement avoir été mauvais que je n'étais pas allé voir les résultats. Je pense que je n'aurais pas été reçu sans ton soutien Bernard. Cette réussite à l'ENS a été déterminante pour la suite de mon parcours.
En 1977, c'est toi et Louis Boutet de Monvel qui m'avez fait venir à Grenoble. Grenoble a été pour moi un endroit idéal par la qualité du labo et la bonne ambiance entre les collègues si différente de l'ambiance parisienne. Ce fut aussi à Grenoble que me fut donnée la chance de collaborer avec des physiciens. C'est à Grenoble que mes enfants se sont enracinés !
Devenus collègues, tu m'impressionnais beaucoup par ton agilité intellectuelle et la clarté de tes explications. Nous sommes passés petit à petit des relations professionnelles à des relations amicales facilitées par le fait que, depuis ma retraite, nous partageons le
même bureau. Tu avais un souvenir précis de plein d'histoires ayant émaillé ta carrière. Tu parlais avec plaisir de la période nancéenne où tu commençais ta thèse sous la direction de Laurent Schwartz, en compagnie de Grothendieck et de Lions.
Enfin, je voudrais m'adresser à Liane. Tu as été son rayon de soleil pour la fin de sa vie durant ces 23 dernières années. Avec Marie-Jo, nous avons eu maintes occasion de nous voir en particulier tous ces derniers étés en Bretagne, partageant souvent un repas au restaurant et Bernard, comme vous le savez, aime bien les bons repas ; nous avons beaucoup apprécié de vous rencontrer dans ce cadre purement amical. Liane, merci de ce que tu as été pour Bernard.
Bernard, nous sommes tous tristes de ton départ, mais nous savons que ton influence et ta mémoire continueront de nous imprégner.
Yves Colin de Verdière
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J’ai rencontré Bernard alors que j’étais à l’Ecole d’Ingénieurs ENSIMAG, au début des années 90. Il participait alors à des rencontres autour du « Calcul Formel » organisé par Jean Della Dora. J’y ai croisé Jean-Pierre Ramis.
Ces rencontres ont été décisives. Elles ont conforté mon goût pour les mathématiques et ont suscité, plus tard, des problèmes à résoudre.
Après une brève tentative vers le « Calcul Formel », j’ai constaté que ma voie se trouvait ailleurs. Aussi, après mon service militaire, j’ai contacté Bernard pour lui soumettre un projet de thèse qui avait muri dans mon esprit l’année précédente.
Après l’avoir lu avec minutie, il a accepté d’être mon directeur de thèse. J’ai bénéficié de sa bienveillance. Mes écrits, quant à eux, ont été confrontés à son œil perçant et à son crayon acéré. Son énorme culture mathématique m’a fait découvrir de nouveaux horizons.
Bien qu’ayant eu formellement peu d’élèves, son influence scientifique auprès des jeunes, comme des moins jeunes, a été déterminante. Ses contributions mathématiques, universellement reconnues, ont marqué plusieurs générations de mathématiciens et ont été la source d’inspiration pour de nombreux développements.
Tout au long de ma carrière, je l’ai tenu au courant de mes travaux et je l’appelais régulièrement pour prendre de ses nouvelles. La dernière fois que je l’ai vu, en septembre 2022 ; il me disait, encore, qu’il ne faisait plus grand-chose de sérieux….
J’ai hérité de son exigence et de son ouverture d’esprit mathématiques.
Enfin, Bernard était un bon vivant et je crois que j’ai hérité de ça aussi. Je lui dois beaucoup.
Laurent Stolovitch
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Je viens de la physique théorique (CEA-Saclay), et souhaite témoigner de la grande influence que Bernard Malgrange a eue jusque sur cette discipline, et sur mon travail en particulier.*
Mon premier contact avec Malgrange a eu lieu via un cours d'analyse complexe qu'il a donné vers 1967. Longtemps après, en 1993 j'ai eu le bonheur de participer à la très belle conférence organisée en son honneur à l'Institut Fourier. Entre ces deux dates, j'ai interagi avec lui à de nombreux séminaires ou colloques internationaux, notamment à Grenoble, aux Rencontres semestrielles "RCP25" entre physiciens et mathématiciens à Strasbourg, aux Séminaires Bourbaki...
Spécialement, son expertise en équations différentielles, analyse complexe, séries divergentes, était précieuse pour la physique théorique et mathématique qui emploie massivement ces thèmes. Dans mon sujet, qui est la transition entre les mécaniques quantique et classique, Malgrange m'a régulièrement aidé et encouragé, et crucialement dans la période autour de 1980 :
Avec Balian et Parisi nous avions mis en évidence un effet tunnel quantique (un décalage exponentiellement petit) bien qu'il soit noyé dans un signal de fond très dominant, et ce en perfectionnant une méthode de la phase stationnaire complexe ; mais nos calculs restaient heuristiques, avec moult présupposés et hiatus logiques. Nonobstant cela, Malgrange a répercuté et défendu ce travail auprès des mathématiciens, ce qui nous a beaucoup encouragés.
Puis j'ai pu en partie combler ces manques, alors Malgrange et Colin de Verdière m'ont invité à parler de ces progrès. Dans mon souvenir, l'auditoire a dû faire preuve d'une patience extrême, mon exposé étant à rallonge et menant à des formules analytiques très imbriquées, quasi invraisemblables à mes yeux. Puis Malgrange s'est rendu compte, et je lui dois de savoir, que mes résultats bizarres avaient la même forme que ceux tout récents d'un mathématicien travaillant sur de tout autres problèmes, à 3 km seulement de mon bureau, et dont j'ignorais l'existence (Jean Écalle, à Orsay). Cette étape a été capitale pour stimuler la poursuite de mon travail (aboutissant vers l'an 2000, à la solution analytique d'une certaine équation de Schrödinger générique à 1 dimension).
J'ai toujours vu Bernard Malgrange comme figure tutélaire et mentor mathématique, un modèle d'intégrité et de rigueur, très au-dessus de mon niveau. Mais il était tout sauf écrasant, au contraire, bienveillant, généreux et encourageant, avec un discours toujours fort et éclairant.
Par un hasard amusant, nos relations ont ensuite pris un tour nouveau. Une de nos filles a fait sa vie à Grenoble même, donc nous y passons souvent maintenant. J'ai alors revu assez régulièrement Bernard Malgrange... sur le marché de l'Estacade, avec d'autant plus de plaisir que c'était toujours inopiné. Ou alors notre fille l'y croisait, et nous donnait des nouvelles de lui. Je l'ai revu ainsi il y a très peu de semaines, en admirant sa résilience et son esprit toujours présent. Ces contacts répétés ravivaient nos souvenirs communs, et vont les renforcer dans mon esprit désormais.
Un très grand merci donc à Bernard Malgrange.
* Je suis reconnaissant de même à deux mathématiciens qui ont été proches de lui, Louis Boutet de Monvel et Yves Colin de Verdière.
André Voros, Institut de Physique Théorique, Université Paris-Saclay, CEA, 91191 Gif-sur-Yvette
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Mon amitié pour Bernard date de plus de 40 ans, dans les années 1970 où nous nous retrouvions aux rencontres de physiciens et mathématiciens à l’université de Strasbourg.
Il y avait aussi le séminaire Schwartz à l’école polytechnique et à l’IHP où on retrouvait Goulaouic, Malgrange, Bony, Unterberger, Boutet de Monvel et les jeunes. Il arrivait qu’une question soit posée : telle hypothèse est-elle nécessaire ? Peut-on donner un contre-exemple à telle assertion ? Quel est le cadre naturel dans lequel se situe un tel énoncé ? A ce moment-là, la discussion s’animait et on voyait Bernard faire une moue, ses lèvres tremblaient et après quelques minutes il prononçait quelques mots en apportant de temps en temps une réponse à la question posée…
Mais ma relation plus étroite avec lui a une autre origine. Il était un ami proche de Louis Boutet de Monvel, tous deux élèves de Laurent Schwartz et analystes.
Il y a eu ainsi à la maison de longues discussions sans fin, sur la vie, sur la politique, sur les mathématiques, sur le théorème de l’indice relatif et l’utilisation des problèmes de Riemann-Hilbert que j’utilisais. Bernard et Louis tournaient autour d’une table basse dans le séjour, un verre de vin à la main en discutant pendant que je préparais notre repas. Bernard venait souvent à la maison : sa vivacité intellectuelle et sa profondeur m’a toujours frappée. Il partageait ses idées généreusement mais il valait mieux ne pas le contredire sinon il se mettait à trembler de la bouche et Louis me faisait signe de changer de sujet…
Il y a eu plus tard les écoles d’été en Roumanie du temps de Ceaucescu et l’école d’été à Kaciveli en Ukraine après la chute du mur de Berlin. Bernard et Louis m’ont toujours encouragée et suivie dans cette aventure un peu folle.
Bernard était un ami fidèle, toujours présent dans les moments joyeux comme dans les moments difficiles de la vie. Quand il donnait la main, c’était pour la vie !
Bernard, ton amitié lors de chacune de ces rencontres me manque déjà.
À bientôt.
Marguerite m’a demandé de dire un poème, me disant que tu les aimais. En voici un :
Derrière les talus
Basculent
Un buisson
Tous les buissons
Toutes les haies
Tous les murs
Les maisons aussi
Derrière le talus
Il y a
la vie entière
Un chemin ouvert
à même le soleil
des ruisseaux d’abeilles
L’amour dans leurs ailes
C’était hier
Il fait frais
Je marche dans le noir
Les yeux fermés
Ton ombre m'accompagne
Anne Boutet de Monvel, janvier 2024.
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Comme pour beaucoup d’autres, Bernard Malgrange a fortement influencé mes travaux de recherche. Pour être plus précis, à la fin des années soixante, il s’intéressait à la théorie des pseudo-groupes de Lie et des déformations de structure de Spencer (*). En visite à Princeton en 1967 il a rencontré Hubert Goldschmidt qui travaillait aussi ces questions. Par la suite, Malgrange est resté en contact avec Hubert, et lui a fait soutenir une thèse à Paris. Il est arrivé à Grenoble en 1969 et l’a invité l’année suivante comme professeur associé. Pour ma part, après avoir obtenu mon DEA en 1971, Malgrange m’a incité à démarrer une thèse de 3ème cycle sur les applications de cette toute nouvelle théorie formelle des équations différentielles, profitant de la présence encore pour un an de Goldschmidt à Grenoble. C’est ainsi que j’ai entamé une collaboration de 40 ans avec Hubert et bénéficié de nombreuses discussions avec Malgrange qui sera officiellement le directeur de ma thèse d’Etat soutenue en 1980. Par la suite, Hubert viendra chaque année passer une semaine fin juillet début août chez moi à Saint-Georges-de-Commiers, où nous faisions un point sur nos papiers et calculs en cours. Lorsqu’il était dans la région à ce moment-là, j’ai souvent invité Malgrange à se joindre à nous pour des diners fort sympathiques dans la douceur estivale sur la terrasse de la maison ; Liane était parfois avec nous. Il avait toujours plein d’anecdotes à raconter ! J’ai évoqué avec Hubert, qui est à New York, la disparition de Malgrange et il se joint à moi pour transmettre à sa famille toute notre sympathie et amitié.
J’ai été très heureux et honoré d’avoir organisé en 1993 le colloque international à l’occasion du départ en retraite de Malgrange, tâche passionnante, très riche en contacts, mais épuisante (je ne regrette pas les efforts fournis à ce moment-là). Je crois que cette manifestation a été un beau moment pour lui : dans une dédicace des actes qu’il m’écrira plus tard, il parlera de « merveilleux colloque ».
Sur toutes ces années passées à l’Institut Fourier, il y aurait bien d’autres choses à dire, en particulier sur sa proximité avec Jean-Louis Koszul, que faute de temps il n’est pas possible d’évoquer ici.
Ces dernières années, je vais régulièrement dans le quartier de la caserne de Bonne à Grenoble, où habitait Malgrange. Cela me donnait le plaisir de le rencontrer de temps en temps ; il marchait plus difficilement, mais il avait toujours l’esprit très vif et ces petites discussions an coin de la rue étaient pour moi des moments privilégiés.
(*) Il a apporté des contributions fondamentales sur ce sujet ; par exemple, il généralise le théorème de Newlander-Nirenberg et en donne une démonstration très simple. Dans les hommages qu’on lui rend, cette partie est peu ou pas mentionnée.
Jacques GASQUI
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